
Musée d’art contemporain de Montréal : l’hérédité des années 80 – Ron Moppett
La Presse
Éric Clément
L’audace de la peinture canadienne et québécoise des années 80 fait un retour sur les cimaises du Musée d’art contemporain de Montréal. L’exposition Peindre la nature avec un miroir évoque une proximité entre la diversité d’expressions de cette période et la peinture actuelle qui en aurait conservé quelques gènes…
Le report de l’amorce de la transformation architecturale du Musée d’art contemporain de Montréal a des bienfaits. Il prépare la voie à la genèse d’expositions qui permettent de redécouvrir des œuvres qui, sinon, seraient demeurées dans le silence isotherme des « catacombes » de l’institution.
Conservateur au MAC, Mark Lanctôt a eu l’idée et l’énergie, dans un court laps de temps, d’adresser un clin d’œil à la peinture des années 80 en prélevant au sein de la collection du musée une vingtaine de tableaux et de dessins appartenant à ce singulier chapitre de l’histoire de l’art du pays.
Les années 80 ont été marquées par un nivellement des styles et une grande liberté d’expressions plastiques. L’abstraction moderniste s’était trouvée amalgamée à bien d’autres courants, issus d’un réel besoin d’ouvrir les vannes, de dynamiter les codes et de couper court à toute bien-pensance artistique.
Dans les années 80, les artistes ont des choses à dire et, comme aujourd’hui, bien des enjeux à embrasser. On le sent avec l’immense tableau de Wanda Koop, Airplane. Moins graphique que ce qu’elle réalise aujourd’hui, mais avec cette grosse masse volante et mystérieuse, en suspension dans un ciel dramatique, qui nous fait penser aujourd’hui à un engin militaire tel un drone menaçant. Une atmosphère qui rappelle la guerre froide et les avions fantômes.
Même chose avec la peintre Carol Wainio, dont la narration imagée dans Possibilités plurielles suggère l’aliénation des êtres humains. Ces petits personnages insignifiants pris dans un engrenage (dans la partie droite du tableau), anonymes (partie gauche), mais qui se tiennent par la main.
Le titre de l’exposition, Peindre la nature avec un miroir, vient de l’huile Painting Nature with a Mirror, du peintre Ron Moppett (1945-), peu connu au Québec, mais célébré dans l’Ouest (tout comme son fils Damian). Une toile équilibrée, pleine d’ironie et d’humour. Avec un univers de conte de fées, abstraction et figuration mêlées. Et cette idée du miroir qui conduit l’artiste à s’inclure dans son œuvre. À s’exprimer, écartant l’idée de spontanéité, d’objectivité et de hasard.
Tout comme le fait Sandra Meigs (1953-), Prix du Gouverneur général 2015, avec Live Now, une toile qui ne manque pas, elle non plus, d’ironie ni de fantaisie. Et ce cadre ! Tellement années 80 !
Belle idée de faire renaître une grande œuvre de Martha Fleming et Lyne Lapointe, Sans titre, une technique mixte peinte entre 1983 et 1987. Une œuvre qui a été exposée au Corona. Le théâtre de la Petite-Bourgogne n’accueillait plus, à ce moment-là, de comédiens sur sa scène, mais il a présenté l’exposition La Donna Delinquenta, aux airs de rébellion contre les injustices. Voici une œuvre féministe actuelle, qui parle de la marginalisation sociale et de l’industrie du spectacle.
Plus abstrait et différemment engagé, The Song of the Shirt, de Leopold Plotek, découle de la vieille histoire syndicale d’une pauvre couturière. Employée d’une manufacture, elle revendait des bouts de tissus qu’elle subtilisait pour survivre. Mais elle s’est fait prendre, puis a été envoyée en prison.
Autre curiosité de l’exposition, la Nature morte à la petite table à café bleue, de Joseph Branco (1959-), acrylique sur bois et toile installée par Mark Lanctôt contre le mur, à l’entrée de la première salle d’exposition, ce qui lui donne une curieuse perspective et l’illusion de surfaces courbes.
Les autres artistes choisis par le conservateur pour illustrer ces années 80 sont Betty Goodwin, Sylvie Bouchard, Robert Houle, Joanne Tod, Susan G. Scott, Medrie Macphee, Leslie Reid, Gathie Falk, Shirley Wiitasalo, Harold Klunder, François Morelli et Kathleen Margaret Graham, avec son Arctic Night, un paysage jamais exposé et qu’elle avait peint à la suite d’un voyage dans le Grand Nord.
Finalement, bon choix que d’avoir retenu une toile surprenante de Lynn Hughes. L’artiste et prof de Concordia est connue pour sa fibre numérique et son intérêt pour l’innovation. On apprécie donc d’autant sa peinture Still Life for David, hommage à Max Beckmann et œuvre dédiée au peintre montréalais David Elliott.
« Comme pour d’autres artistes des années 80, Lynn testait les limites du bon goût, dit Mark Lanctôt. Dans la palette de Max Beckmann. Le poisson n’est-il pas remarquable ? ! »
Peindre la nature avec un miroir, au MAC jusqu’au 15 mars.
Image Credit:
Ron Moppett
Painting Nature with a Mirror
(Peindre la nature avec un miroir), 1985
Collection du Musée d’art contemporain de Montréal
Crédit de photo: Musée d’art contemporain de Montréal